Surprise, incrédulité. Et tout de suite après, comme une brulure qui atteint les nerfs, indignation et amertume.
Voilà les émotions que milliers d’expatriés africains en Belgique ont ressenties, nous comme vous, le soir de samedi 25 novembre, en découvrant les commentaires des médias mainstream belges sur les événements de l’après-midi à Louise.
Peut-être, avions-nous allumé exprès la radio, la télé, le feed de Facebook, pour vérifier les échos de la mobilisation de la communauté africaine de Belgique à Bruxelles, réunie en grand nombre (au moins un millier de personnes, hommes, femmes et enfants, ceci en dépit de l’immobilisme désabusé qui trop souvent paralyse la communauté afrodescendante) devant le Palais de Justice de Bruxelles pour marcher ensemble vers l’ambassade de Libye et crier notre indignation.
Contre le traitement barbare envers nos frères et sœurs, coupables seulement de chercher à traverser cette fameuse Méditerranée et fuir la misère et les conflits provoqués par l’avidité de personnages bien à l’aise sous d’autres cieux dans leurs bureaux climatisés et des vendus qui les représentent au pays.
Pouvions-nous savoir qu’en Libye des bandes organisées de criminels vendent nos frères et sœurs comme des bêtes de travail, tout comme il a été fait pendant les siècles douloureux où l’Afrique a été mise à sac ?
Au fait, les échos arrivaient depuis des années à ceux qui ont la ténacité de chercher à s’informer sur des sujets qui n’intéressent pas le mainstream de la société occidentale. Mais là, enfin, le drame avait atterri, preuves à l’appui, sur CNN, ce média d’importance globale, et de là il avait investi d’indignation le monde entier.
Il avait aussi, qui sait ? provoqué quelques instants de gêne auprès de hautes instances occidentales qui financent la Turquie et la Libye pour garder loin des rives européennes les noirs en fuite de chez eux.
Alors, des comités d’afrodescendants ont pris la décision d’organiser un événement qui aurait lieu au même moment dans plusieurs villes d’Europe : une marche pacifique jusqu’à l’ambassade de Libye pour dire stop à tout cela.
Ce jour-là, d’après les manifestants présents, pas de trace des médias belges de grande diffusion sur place, cela en dépit du retentissement que la mobilisation avait depuis des jours à travers l’Europe.
Il n’y avait que la police de Bruxelles, mobilisée en grand nombre et avec les grands moyens, cette fois-ci, pour éviter la débâcle de quelques jours plus tôt à la Bourse, où les violences de faiseurs de troubles profitant de la joie d’un match victorieux avaient suscité un scandale national pour l’étendue des dégâts et la terreur des riverains.
Il y avait eu plusieurs appels au rétablissement de l’ordre et de l’autorité de la part de politiciens et de citoyens, un cri général de « Que fait la police ? » à travers le pays. Et voilà, cette fois-ci, la police était prête à réagir.
Mais, malgré la présence musclée de la police, une vingtaine d’individus a réussi à se dégager et à se reverser sur le quartier Louise, occasionnant des dégâts et de la terreur chez les commerçants et les passants.
Nous le déplorons, non seulement parce que nous sommes les concitoyens de ces commerçants et de ces passants terrorisés, mais aussi pour le sentiment douloureux d’avoir subi un détournement brutal de notre mobilisation vers une direction inutile et dommageable.
Ces vingt casseurs ne nous représentent pas.
Grande et douloureuse a été notre surprise, néanmoins, quand, ce soir-là, les médias de grande diffusion se sont limités à informer le pays que de nouvelles émeutes avaient investi Louise, que la police avait procédé à des arrestations mais tout citoyen était invité à partager des infos pour attraper les fugitifs, avec toutes les réactions indignées des autorités à commentaire de tout cela…
Pas un mot sur le déroulement de la manifestation de ce jour-là, au fait, pas un mot sur la mobilisation tout court. Elle n’avait jamais eu lieu, à l’évidence, aux yeux des médias mainstream. Nous nous sommes demandé : pourquoi.
Puis, le chagrin nous a stoppés net de nous donner des réponses, quitte qu’on en arrive même à douter de notre importance en tant que concitoyens de ce pays.
Un point reste entier et incontournable : nous ne pouvons pas nous permettre de laisser aux médias mainstream le temps et le loisir de s’occuper de nos luttes et de notre existence quand cela arrange.
Nous ne pouvons pas laisser que d’autres racontent notre histoire, nos histoires. Nous devons assumer notre place dans la société, oui, et cela passe aussi par la volonté de parler pour nous-mêmes.
Exprimons-nous, parlons de nos luttes de plus en plus fort, partout où nous pouvons. Nos enfants, nos frères et sœurs et tous nos concitoyens le valent bien.
Bienvenu Sene